Le 20 novembre 2020, la mairie a inauguré son paepae dénommé « Tau Matari’i Tematahi ».
Erigé dans ses jardins, il est donc dédié aux « Matari’i » qui marquent traditionnellement le passage des deux saisons de l’année : le « Matari’i i ni’a » fin mai, annonciateur de la période d’abondance avec sa saison des pluies et le « Matari’i i Raro », fin novembre, plus frais, plus sec, qu’on dit moins généreux.
Ce passage d’un cycle à l’autre est étroitement lié à l’apparition de la constellation des Pléiades, fin novembre.
Les deux Matari’i ne sont toutefois pas les deux seuls marqueurs du calendrier polynésien.
Ce calendrier distingue aussi, l’écoulement des journées et des nuits, les mois avec le cycle lunaire (marama), les années (matahiti) et les quatre saisons liées aux équinoxes et aux solstices -dont les deux principales restent l’apparition et la disparition des Pléiades.
Le Matarii i nia correspond donc au retour de la saison d’abondance.
La floraison passe au stade de la production des fruits, dont celui du uru, l’arbre à pain, l’aliment de base avant l’arrivée des premiers Occidentaux.
L’océan se montre plus fécond. Le Matarii i ni’a ouvre la période de reproduction des poissons du lagon.
Cette entrée dans l’abondance sonne aussi l’heure des rituels et des rassemblements.
La communauté toute entière reconsolide ses liens avec le Matari’i i ni’a.
C’est l’heure des travaux, pour la conservation des aliments, les échanges culturels, la transmission des savoirs, la solidarité et le partage.
Période de réjouissances, elle décrète même l’interdiction des guerres.
D’une période à une autre
L’arrivée du Matari’i i raro, en mai, marque la fin des festivités menées par les ari’oi.
La nature change de cycle, mais on s’y est adapté pour ne pas manquer.
Le rāhui est prononcé pour préserver les ressources du lagon.
Teuira Henry dans « Tahiti aux Temps Anciens » nous apprend que ces changements de saison donnaient lieu à une période de tapu. Les ari’i et la noblesse nettoyaient les marae, consacraient les autels et apprêtaient les divinités au nouveau cycle qui s’engageait pour chasser les mauvais esprits.
Ces périodes transitoires étaient aussi mises à profit pour faire un point sur soi-même.
Ces valeurs ancestrales calquées sur les rythmes de la nature gardent toute leur symbolique, depuis quelques années, dans le renouveau des célébrations du Matari’i.
Le paepae érigé dans les jardins de la mairie en novembre 2020 est donc tout entier consacré à l’avènement de ce cycle. Il comprend une pierre sculptée avec, à son sommet un soleil tourné vers la constellation des Pléiades.
A sa base, les pétroglyphes que jalonnent l’histoire de Arue.
Au dos, les étoiles de la constellation visibles à l’œil nu.
Le 20 novembre 2020, le paepae voyait sa consécration achevée par son encadrement de huit « ‘Autī », représentant les huit alliés de la côte Est. On y plantait également à proximité un jeune « Mara », l’arbre indigène de l’archipel de la Société, dont le bois était couramment utilisé pour la construction d’outils et de pirogues.
Le paepae, la base
Le paepae était réalisé à partir de pierre volcanique ou de coraux.
Il servait de fondation aux constructions de bois en tous genres : aux habitations, bien sûr, mais aussi, pour les plus grandes, aux réunions et aux rassemblements, aux parvis des marae, comme pas de tir du tir à l’arc…
La face verticale des pierres de soutènement tournées vers l’extérieur était parfois sculptée de pétroglyphes.
Les dessins symbolisaient des coquillages, des soleils, des tortues, voire étaient de simples cercles concentriques.
Mais ces décorations étaient rares et indiquaient vraisemblablement des constructions notables (maisons de chefs, de prêtres, lieux de rassemblement…).
Sept pétroglyphes reproduits
On trouve derrière le paepae sept pétroglyphes reproduits sur le muret qui supporte la plate-forme des services administratifs de la mairie.
Trois d’entre eux sont la reproduction de gravures des rochers que l’on trouve derrière l’ancienne mairie, en face de l’école Ahutoru.
Et tous présentent une similitude : des cercles concentriques.
Si, malheureusement, peu de détails subsistent sur la signification de chaque pétroglyphe, les historiens et les archéologues s’entendent sur la symbolique de ces cercles comme source du pouvoir.
Ils faisaient l’objet de prières ou d’incantations pour s’attirer les bonnes grâces du panthéon des divinités maohi, avant une prise de décision ou une action notable.
Le cercle le plus proche du milieu symbolisait Hina, la déesse de la lune.
Les degrés suivants respectaient, dans l’ordre de niveau de puissance, la hiérarchie des dieux suivants.
Les derniers cercles en périphérie représentaient Hitira’i Tua Tini et, bien sûr, Taaroa avec, en dessous, sa descendance.
Chaque Atua avait son caractère symbolique et sa place dans la gravure, en fonction de son rôle et de son pouvoir.
Un cercle qui n’était pas complet (souvent « ouvert » sur le bas) ouvrait sur un autre niveau. Les pétroglyphes incluaient à la généalogie polythéiste les ancêtres du site où était implanté le rocher.
Les invocations s’adressaient donc aussi bien aux ancêtres qu’à la source du pouvoir et à la source universelle.
On peut ajouter un autre degré de lecture à ces pétroglyphes.
On y reconnait, en effet, des tortues, des requins, des raies, voire des cents-pieds qui pourraient être le sceau de familles royales, ou l’emblème d’animaux « tāpaò » que l’on retrouve dans les légendes polynésiennes.
Un « tāpaò » est un signe envoyé par les ancêtres ou les dieux.
Il prend donc pour image un animal que l’on rencontre au quotidien.
Chaque famille disposait d’un « tāpaò ».
Il était respecté et on ne pouvait ni le capturer, ni le tuer et à fortiori, ni le manger.
Si la lecture de ces pétroglyphes garde une part de mystère, il n’en demeure pas moins qu’ils ont eu un rôle entier dans la culture polynésienne.